6 choses que vous ne saviez (sûrement) pas sur la broderie or

par | 20 Jan 2023 | Histoire de la mode | 1 commentaire

🕒 7 minutes

Avant de rejoindre l’équipe Artesane, j’étais convaincue que la broderie or était une simple broderie effectuée avec un fil doré. Mais en découvrant les broches de Martine Biessy, j’ai immédiatement compris mon erreur : la broderie or regorge de techniques minutieuses et intrigantes. Elle repose sur le travail de fils métalliques de tailles et de formes variées qui créent des ouvrages délicats une fois découpés et agencés. De la Chine ancienne jusqu’à Rochefort, je vous transporte dans plus de vingt siècles d’histoire et de techniques de la broderie or.

1) La broderie or n’est pas celle que vous croyez…

Si les fils utilisés pour la broderie or étaient véritablement en or à l’origine, la palette de couleurs s’est largement diversifiée et aujourd’hui, la broderie or n’est plus caractérisée par sa couleur mais par sa matière : du métal (or, argent, cuivre…) ou des fournitures métalloplastiques imitant le métal. La plupart des broderies sont donc en cuivre ou en laiton recouvert de pigments colorés – dorés, ou dans d’autres coloris.
À ce stade, vous vous demandez sûrement : comment peut-on broder avec un fil en métal ? C’est une excellente (et légitime) question. En broderie or, deux types de fils sont principalement utilisés :

ensemble de broderies or de chez Artesane
  • Le jaseron est un tube rigide constitué par un fil métallique enroulé sur lui-même en spirales serrées. Si vous avez du mal à l’imaginer, visualisez un ressort (ou regardez la photo plus bas). Son diamètre étant assez épais, le jaseron est principalement utilisé pour broder les contours des formes et des motifs.
    La marche à suivre est la suivante : avant de commencer à broder, il faut légèrement l’étirer pour le rendre flexible. Le brodeur lui donne ensuite la forme qu’il souhaite et le fixe à l’endroit voulu en passant un fil à cheval entre les ressorts : c’est ce que l’on appelle le point de Boulogne. Ce fil s’intercale entre les spirales, ce qui le rend invisible une fois l’ouvrage terminé.
  • La cannetille est également un tube, mais elle est plus souple que le jaseron et n’est pas du tout utilisée de la même manière. Pour la broder, il faut en couper un petit bout, y glisser un fil et broder la cannetille comme s’il s’agissait d’une perle. Frisée, lisse, mate, brillante, satinée, les types de cannetilles sont extrêmement variés pour permettre une multitude de rendus selon les goûts. Elle est essentiellement utilisée pour remplir les motifs.
photo d'une cannetille

2) La broderie or est née il y a longtemps dans un empire lointain, très lointain

Les premières traces d’existence de la broderie or remontent à la période de la Chine ancienne, qui s’étend de 1600 avant J.C. à 221 avant J.C. Les vêtements retrouvés semblent nous indiquer que celle-ci était strictement réservée aux vêtements de cérémonie, notamment aux vêtements impériaux. Les couleurs, les matières et les formes sont extrêmement contrôlées : les motifs représentent principalement des dragons, des monstres ou des oiseaux. Par la suite, l’art de la broderie or dépasse les frontières de l’Empire du milieu grâce aux marchands de soie, qui l’emmènent jusqu’au Moyen-Orient, puis en Afrique du Nord et en Europe de l’Ouest. Là-bas, elle reste principalement utilisée pour les ornements de cérémonie mais s’étend également aux vêtements de cour.
À savoir : l’Ancien Testament est un des premiers écrits à évoquer la broderie de fils d’or sur des toiles de lin, plusieurs siècles avant J.C.

3) Au Moyen-Âge, le contrôle qualité de la broderie or était intransigeant

Entre le XIIe et le XVe siècle, les anglais développent la technique et la qualité de leur broderie or pour confectionner des pièces majestueuses convoitées par les plus grandes puissances européennes. Leurs broderies représentent majoritairement des scènes religieuses mettant en scène des saints, travaillées avec des fils de soie couchés à l’arrière de tissus de lin.
Cette méthode fastidieuse (la réalisation de certains ouvrages particulièrement complexes pouvait prendre plusieurs années) garantissait une meilleure fluidité des vêtements une fois portés. Ces ouvrages ont par la suite été caractérisés d’Opus Anglicanum (littéralement “Ouvrage Anglais”), signe de la réputation internationale des brodeurs anglais dans cet art.

Et leur renommée n’est pas due au hasard : à l’époque, chaque pièce est strictement contrôlée pour vérifier qu’elle a été confectionnée dans les normes. Si vous souhaitez réaliser une broderie or à l’anglaise, voici les conditions que vous devrez remplir pour que votre œuvre soit validée par l’Angleterre du XIIe siècle :

  • La broderie doit être effectuée exclusivement à la lumière du jour : interdiction de travailler de nuit à la lueur d’une bougie (et encore moins de votre lampe de chevet !).
  • La broderie se transmet d’une génération à l’autre. Un apprentissage de 8 à 10 ans est nécessaire pour être autorisé à travailler sur de vraies commissions. Il faudra donc vous armer de patience !
  • Enfin et surtout, les fils d’or doivent être sélectionnés parmi les plus beaux – et les plus chers – du marché, sans quoi votre travail risquerait d’être détruit… tout simplement !

© Musée des Tissus et des
Arts Décoratifs de Lyon

À savoir : Les plus vieilles pièces d’Opus Anglicanum retrouvées sont une étole (une large bande d’étoffe portée en écharpe par les évêques et les prêtres) et une manipule (un ornement porté autour du bras gauche par les prêtres lors de la messe) de Saint Cuthbert, respectivement datées de 901 et de 916. Elles sont conservées dans la cathédrale de Durham.

4) Il ne faut pas confondre broderie or et peinture italienne

À partir du XVe siècle, l’Opus Anglicanum perd son rang de vedette européenne car les ateliers d’Italie, de France et des Pays-Bas monopolisent toute la lumière… littéralement : la nouvelle technique de l’« or nué » s’amuse de jeux d’ombres et de lumières et crée de la profondeur en fixant les fils d’or avec des fils de soie colorés placés à la perpendiculaire.  Ces nouveaux ajouts de couleurs créent des ouvrages tellement fins et précis qu’ils semblent presque peints. L’or nué devient extrêmement populaire et son utilisation s’émancipe enfin des vêtements liturgiques pour parer également de nombreuses pièces d’ameublement. 

À savoir : la technique de l’or nué est considérée comme la plus chronophage des techniques de broderie or.

photo d'or nué

© Marc Kérignard, Inventaire général Région Occitanie

5) Rochefort était le berceau de la broderie or avant d’être celui des jumelles Garnier

képi brodés d'or

© Maison des Grenardières

Le règne de Louis XIV est connu pour son extravagance, ses vêtements luxueux et sa codification hiérarchique stricte. Qui d’autre que le Roi-Soleil aurait pu populariser la broderie or en France ? En plus d’orner les vêtements liturgiques et les meubles, elle est étendue aux vêtements des nobles, leurs chaussures et leurs chevaux, ainsi qu’aux habits militaires. Ainsi, lorsqu’en 1666, Louis XIV et son ministre Jean-Baptiste Colbert décident de transformer la ville de Rochefort, située non loin de La Rochelle, en place stratégique de la marine française, de nombreux ateliers de brodeurs s’y installent pour ornementer les parures des militaires. Il arrive même que les soldats eux-mêmes, entre deux missions, s’évertuent à broder leurs uniformes et leurs drapeaux.

À savoir : sous Napoléon Ier, la broderie or devient un élément obligatoire des costumes officiels de cérémonie : préfets, ambassadeurs, académiciens, policiers, gendarmes et douaniers voient leurs insignes se couvrir de détails dorés.

6) La broderie or est une amie fidèle des défilés de Haute Couture

En dehors des costumes officiels, la broderie or perd en popularité au XIXe siècle : elle devient rarement utilisée dans l’ameublement. Les créateurs, en revanche, se la réapproprient pour créer des vêtements modernes aux motifs rivalisant d’inventivité. En Haute Couture, les savoir-faire délicats comptent beaucoup… et quel travail plus beau et raffiné qu’une broderie ? Si vous pouvez facilement en retrouver au fil des collections des plus grandes maisons, je vous ai quand même sélectionné trois de mes pièces préférées pour finir cet article sur une note colorée !

Elles sont issues de la collection Zuhair Murad Couture automne-hiver 2018-2019, qui se distingue par ses coloris essentiellement noirs, dorés et rose vif. La quasi-totalité des vêtements du défilé sont brodés d’or, de perles et de pierres précieuses, avec des motifs floraux aux inspirations orientales. Chez Zuhair Murad, la broderie or n’est pas un détail : c’est une fresque majestueuse.

photo du défilé Zuhair Murad
photo du défilé Zuhair Murad

© Imaxtree

photo du défilé Zuhair Murad

Si vous vous rêvez chef d’atelier dans une grande maison, il ne vous reste plus qu’à suivre le cours de Martine Biessy pour vous lancer !
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1 Commentaire

  1. Bonjour
    Merci pour ce mail avec ces magnifiques textes. Je ne connaissais pas le journal d’Artesane. J’en apprécie beaucoup la lecture. C’est un complément à deux de mes cours achetés. Celui de Martine Bessy pour la broderie or et celui d’initiation au sashiko et la difficile réalisation tu kimono proposé.
    Merci beaucoup.
    Comment lire régulièrement le journal d’Artesane svp?
    Cordialement

    Réponse

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