Du sport à la Haute Couture : l’ascension du pantalon féminin au XXe siècle

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Il y a quelques années, en 2013 plus précisément, nous avons beaucoup parlé de l’abrogation de la loi pénalisant le port du pantalon pour les femmes. Loi dont, avouons-le, la plupart d’entre nous ignorions l’existence, et pour une raison simple : le pantalon féminin est tellement ancré dans notre quotidien et dans les mœurs que nous oublions parfois qu’il fut diabolisé pendant des siècles. Atteinte à la pudeur, manque d’élégance, signe ostentatoire de lesbianisme… Les accusations étaient nombreuses et diverses. À l’occasion de la sortie du cours Variations de mode : le pantalon, je voulais donc vous raconter comment ce vêtement s’est échappé du vestiaire masculin, puis sportif, pour devenir une pièce centrale du prêt-à-porter féminin et – même ! – de la Haute Couture.

Aux origines du pantalon… la Révolution française ?

Sous le feu des barricades, une baïonnette dans la main droite et un bonnet phrygien dans la main gauche, un révolutionnaire crie “Eureka !”. Il vient d’imaginer le premier pantalon… Contrairement aux idées reçues, cette histoire romanesque est fausse : le pantalon tel que nous le connaissons aujourd’hui n’a pas été inventé à la Révolution Française. Il vient en réalité des matelots, qui portaient un pantalon “à pont”, refermé par une pièce de tissu en forme de trapèze sur l’avant, boutonné sur les côtés. Les révolutionnaires ont simplement emprunté cette pièce à la marine pour le porter au quotidien.

Si le pantalon est alors adopté par la majorité des hommes, les femmes continuent de porter des jupes… et ce n’est pas par simple tradition ! Le 29 octobre 1793, un décret impose légalement le respect de la différence des sexes dans l’habillement. Les femmes restent donc contraintes par un vêtement ouvert qui limite leurs activités et les oblige à constamment faire attention – aux vents, aux chutes et aux attouchements.

dessin d'un parisien en pantalon en 1799

Source gallica.bnf.fr / BnF

Couvrez ce pantalon que je ne saurais voir

À la fin de la Révolution française, le pantalon n’est pour autant pas totalement absent du vestiaire féminin… il est simplement caché ! Le pantalon est ainsi une pièce de lingerie resserrée et portée sous une robe longue qui le dissimule. Pendant encore deux siècles, les femmes qui osent porter un pantalon non recouvert sont considérées comme travesties.

Plusieurs femmes, souvent des artistes, parviennent malgré tout à contourner les interdits : c’est le cas de la peintre Rosa Bonheur et des écrivaines George Sand et Colette (sur la photo ci-contre). Elles se servent d’une dérogation qui autorise les femmes à porter un pantalon dans certaines situations précises, pour des raisons médicales ou dans le cadre de l’exercice d’un métier considéré “masculin”, par exemple. Cependant, le port de ce vêtement reste mal vu chez les femmes et constitue un acte politique.

photo de Colette en pantalon

© Henri Manuel

image d'une femme à cheval

© Droits réservés

Le pantalon féminin, d’accord, mais seulement pour le sport !

Au début du XXe siècle, la pratique du sport constitue la première étape majeure dans l’évolution du costume féminin, avec le développement de la présence de femmes dans l’équitation, le cyclisme, l’alpinisme et l’aviation. Prenons le cas de l’alpinisme : les jupes des grimpeuses, en plus d’entraver les mouvements, empêchent de voir où l’on pose le pied et retiennent la neige et l’humidité. La jupe constitue donc un grand danger, comme je vous l’expliquais dans l’article sur les vêtements de ski. Bien que cela soit mal vu, les sportives commencent donc à adopter le pantalon pour répondre aux besoins techniques et sécuritaires… mais de retour en ville, elles retournent immédiatement aux jupes pour ne pas porter atteinte aux mœurs.

1914-1918 : les femmes portent l’économie… et des pantalons

En 1914, la Première Guerre mondiale éclate. Les hommes sont mobilisés sur le front et toute l’économie se met au service de la guerre. Les femmes remplacent les hommes dans les usines. Leur tenue doit s’adapter à ce nouveau travail pour tenir le rythme de production malgré l’absence des hommes : elles sont autorisées à porter un pantalon – bouffant, pour dissimuler les formes – avec une blouse de travail. Les couleurs sombres du deuil dominent alors la mode féminine, qui se caractérise également par une valorisation du simple, du modeste et du pratique.

Il s’agit de la deuxième étape de la masculinisation du vêtement féminin, qui s’échappe du vestiaire sportif pour glisser doucement dans la vie professionnelle. Le contexte de guerre facilite l’acceptation du pantalon féminin… mais seulement comme adaptation temporaire à une situation d’exception. On désapprouve les femmes “trop” masculines, à la fois parce qu’elles déviriliseraient les hommes (ce qui est mal perçu dans un contexte de guerre), mais aussi parce qu’elles décourageraient l’amour (ce qui est encore plus mal perçu car il faut donner naissance à de futurs soldats !).

photo d'une femme en pantalon en 1915

© Institut Iliade

photo d'une femme en pantalon sur la plage dans les années 1920

Source gallica.bnf.fr / BnF

L’ère des trois P : pantalon, plage et pyjama

L’acceptation du pantalon féminin a effectivement été temporaire… dès la fin de la guerre, sa mauvaise réputation reprend le dessus. Au quotidien, il n’est porté que par des femmes “de mauvaise vie” et quasi-exclusivement à Paris. Mais il conquiert malgré tout deux nouveaux espaces : l’intimité et la plage.

Le pyjama d’intérieur fait son apparition et offre une alternative aux nuisettes. Il est porté par les femmes de goût. Souvent en soie, il est large et fluide, surplombé d’un chemisier arrivant à la mi-cuisse.
Le pantalon de plage, lui, connaît le début de son succès dès 1924. Cependant, il reste exclusivement réservé aux week-ends et aux vacances… donc aux personnes les plus privilégiées, les congés payés n’existant pas encore.

1939-1945 : Donnez-moi un pantalon masculin, j’en ferai un uniforme féminin !

Avec la Seconde Guerre mondiale, le pantalon fait son grand retour dans le costume féminin de travail. Tous les achats étant conditionnés par le rationnement, les femmes doivent se contenter de ce qu’elles trouvent : la plupart du temps, elles récupèrent des pantalons d’homme ou d’équitation, qu’elles modifient pour les ajuster à leur taille. Il se répand rapidement dans les usines et dans l’armée dès que les femmes les rejoignent, mais reste mal vu par les autorités religieuses et civiles, surtout en-dehors de Paris. Je ne résiste pas à l’envie de vous partager cette citation de la couturière Marcelle Dormoy qui illustre bien la pensée de l’époque : « Je suis contre le pantalon qui n’a rien de féminin. Il ne laisse pas à la femme son charme naturel. Je l’admets comme pyjama. En tout cas, vous pouvez être persuadées que les couturiers ne présenteront jamais de pantalons. Nous avons trop le souci de l’élégance de la femme française. ». Pas très visionnaire !

Une mode pantalonesque venue des pays anglo-saxons

Comme dans les années 1920, le fief des pantalons féminins après la guerre est la Côte d’Azur. Désormais, les françaises sont de plus en plus nombreuses à se rendre en vacances grâce aux congés payés instaurés en 1936 : le pantalon féminin se démocratise donc dans toutes les sphères de la société. Sa fermeture, qui était jusque-là placée sur le côté, passe sur l’avant du vêtement, comme chez les hommes. On le porte avec des chemisiers sans manches et des mocassins, dans un style détendu inspiré par les tenues américaines de week-end. En effet, depuis l’invention du prêt-à-porter aux Etats-Unis en 1948, la mode n’est plus seulement nationale mais grandement influencée par les pays anglo-saxons. En 1952, le magazine Elle demande à ses lectrices si elles souhaiteraient pouvoir acheter des vêtements tout faits : elles répondent oui en grande majorité. Le prêt-à-porter s’implante alors en France en quelques années.

Un second phénomène va également influencer la mode française : le développement de l’industrie cinématographique. Les acteurs et actrices deviennent des égéries et les vêtements qu’ils arborent à l’écran ou à la ville influencent les codes. Audrey Hepburn est alors une icône. Ses pantalons près du corps, dévoilant les chevilles et coupés dans des matières légères et élastiques, contribuent grandement à populariser le pantalon “cigarette”, qui devient plus acceptable au sein de la société.

Cependant, les marques de Haute-Couture le boudent encore : à l’ère du “new look” de Dior, le luxe est à la féminité exacerbée. Hubert de Givenchy est le seul à proposer des pantalons dans ses collections des années 1950… mais ce sont encore des pantalons de vacances !

photo d'Audrey Hepburn en pantalon

                     © Droits réservés

photo d'un mannequin Courrèges portant un pantalon féminin

                 © Plesure Photo

Le pantalon féminin devient Couture

La décennie 1960 entérine définitivement l’acceptation du pantalon féminin dans la rue : il peut enfin être porté sans soulever des regards désapprobateurs ni constituer un acte de revendication féministe. Cette popularité atteint des sommets en 1965, année où la production de pantalons dépasse pour la première fois celle des jupes.

Il se fraie également un chemin dans les sphères de la Haute Couture, notamment chez André Courrèges, dont les collections futuristes sont à la recherche de nouvelles matières, couleurs et coupes. En 1962, il fait défiler des pantalons à porter en journée comme en soirée : la taille – jusque-là marqueur fondamental de la féminité et de la différenciation des sexes – est effacée, et les chaussures sont plates.

Mais peut-on vraiment parler de pantalon sans évoquer Yves Saint-Laurent et son incontournable smoking féminin, qui défile pour la première fois en 1966 ?

Il s’inspire du costume masculin pour inventer la nouvelle silhouette de la femme Saint-Laurent : veste, pantalon et ceinture de smoking. Il modifie la ligne du vêtement pour l’adapter à la morphologie féminine, en réduisant la largeur des épaules et en marquant légèrement la taille.

Bien loin de la peur – pas si ancienne – de la femme masculine, il affirme qu’« en portant le pantalon, une femme peut développer son maximum de féminité ».

photo d'un mannequin Saint-Laurent en pantalon féminin

                         © Gérard Pataa

photo des pantalons féminins Artesane

Après ces soixante-dix années mouvementées, le pantalon féminin est enfin pleinement accepté dans le prêt-à-porter comme dans la Haute Couture, en journée comme en soirée, à la ville comme à la campagne. Par la suite, ses évolutions seront avant tout stylistiques, au gré des modes, des groupes sociaux et des idéologies.

Mais ces modifications n’ont pas toujours lieu de manière linéaire : de nombreuses formes de pantalons peuvent coexister au même moment et dans le même placard… Sauf qu’en tant que couturière, ce n’est pas toujours facile de multiplier les patrons ! C’est pourquoi nous avons créé le cours Variations de mode : le pantalon, qui vous apprend à modifier vos patrons et à ornementer vos tissus pour créer des pantalons aux finitions travaillées, parfaitement adaptés à vos goûts, votre morphologie et vos événements.

À bientôt chez Artesane !

Pour aller plus loin…

Bard, Christine. Une histoire politique du pantalon. Le Seuil, 2010

Sous la direction de Bruna, Denis et Demey, Chloé. Histoire des modes et du vêtement du Moyen Âge au XXIe siècle. Éditions Textuel, 2018

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